Comment les supermarchés concurrencent Zalando ou Shein ?

Par Julien Mordeau, expert en stratégie retail et transformation digitale

Le renouveau de la grande distribution dans le secteur textile

Depuis quelques années, un phénomène surprenant secoue l’univers de la mode : les supermarchés et enseignes de grande distribution s’imposent comme de sérieux concurrents face aux géants du e-commerce comme Zalando ou Shein. Alors que ces plateformes en ligne dominaient le marché grâce à leur offre pléthorique, leur rapidité de livraison et leurs prix ultra-compétitifs, les distributeurs traditionnels ont su réagir en transformant leurs faiblesses en forces.
Comment des enseignes comme CarrefourAuchan ou Leclerc parviennent-elles à rivaliser avec des acteurs nés dans l’ère digitale ? La réponse réside dans une combinaison de stratégies omnicanales, de marques propres innovantes et d’une adaptation agile aux attentes des consommateurs. Cet article décrypte les leviers utilisés par la grande distribution vêtements pour séduire une clientèle toujours plus volatile.

1. Le prix imbattable : l’arme absolue contre Shein

Shein a révolutionné la fast-fashion avec des prix défiant toute concurrence, mais les supermarchés ripostent en jouant sur leur puissance d’achat et leur logistique maîtrisée. Par exemple, les marques distributeurs (MDD) comme Tex (Carrefour) ou A&You (Auchan) proposent des jeans à moins de 15 €, des t-shirts à 5 €, et même des collections éphémères inspirées des tendances TikTok.
Contrairement à Shein, ces enseignes évitent les frais de douane et les délais de livraison intercontinentaux. En s’approvisionnant localement (ex. : Leclerc collabore avec des usines européennes), elles réduisent leur empreinte carbone tout en garantissant des coûts maîtrisés. Résultat : une mode abordable accessible dès le rayon épicerie.

2. L’expérience physique : un avantage face à Zalando

Si Zalando excelle dans l’expérience digitale, les supermarchés capitalisent sur leur ancrage territorial. Des enseignes comme Intermarché ou E.Leclerc ont repensé leurs rayons textiles pour en faire des espaces de découverte, avec des cabines d’essayage modernes et des conseillers mode. Carrefour a lancé des « pop-up stores » éphémères dans ses hypermarchés, mettant en avant des collections capsules conçues par des influenceurs locaux. Cette hybridation entre shopping alimentaire et vestimentaire crée une convenience inégalée : le client achète ses courses et une robe en 30 minutes, sans frais de port.

3. La montée en gamme des MDD : quand la qualité rivalise avec le low-cost

Pour contrer l’image « jetable » associée à Shein, les grandes surfaces misent sur des matériaux durables et des designs travaillés. La marque Même (Intermarché) propose ainsi des pièces en coton bio, tandis que Witail (Auchan) mise sur des coupes oversize inspirées de la streetwear.
Ces collections, souvent développées avec des designers reconnus (ex. : Casino x Christian Lacroix), visent une clientèle jeune et connectée, prête à payer 10 % de plus que sur Zalando pour un produit perçu comme plus éthique.

4. Le digital : l’accélérateur de la transformation

Les supermarchés ne négligent pas le canal online. Carrefour a intégré son catalogue mode sur son appli, avec des options de livraison en 2h (via Uber Eats). E.Leclerc teste même l’IA pour recommander des tenues en fonction des achats alimentaires (« Si vous aimez le vin rouge, essayez notre pull en laine bordeaux »).
Face à Zalando, ces acteurs exploitent aussi les données clients : les cartes de fidélité (ex. : Carte Auchan) permettent d’adapter les promotions en temps réel, tandis que les drive-retours (retourner un colis en point relais) simplifient les échanges.

5. La durabilité : un argument choc face à la fast-fashion

La grande distribution vêtements surfe sur la vague écoresponsable pour se différencier. Intermarché a lancé une ligne « recyclée » à partir de bouteilles plastiques, et Carrefour promet 100 % de coton durable d’ici peu de temps. Ces initiatives répondent aux critiques fréquentes envers Shein, accusé de surproduction polluante.
Même Lidl et Aldi, historiquement orientés low-cost, misent sur des certifications (GOTS, Fairtrade) pour attirer les millennials soucieux de leur impact écologique.

6. Les collaborations et limited editions : créer l’urgence

Inspirés par le modèle des drops de Shein, les supermarchés multiplient les collaborations éphémères. Auchan a ainsi lancé une collection avec la créatrice française Agnès B., vendue à 50 % en 48 heures. Leclerc, quant à lui, a imaginé des sweats « régionalistes » (ex. : « Breton et fier »), capitalisant sur l’engouement pour le local.
Ces opérations, relayées sur Instagram et TikTok, génèrent un trafic en magasin comparable aux soldes traditionnels.

7. Les services additionnels : fidéliser par l’usage

Pour concurrencer Zalando Premium (livraison gratuite, retours illimités), les grandes surfaces innovent avec des services inédits. Carrefour propose désormais un pressing low-cost dans ses magasins, tandis qu’Intermarché expérimente la location de vêtements pour enfants.
Ces offres renforcent la relation client et transforment le supermarché en « hub lifestyle », loin de l’image purement transactionnelle des pure players.

La grande distribution, futur leader de la mode abordable ?

La bataille entre supermarchés et plateformes comme Zalando ou Shein est loin d’être univoque. Si les géants du e-commerce conservent un avantage en matière de variété et d’innovation digitale, la grande distribution vêtements a su exploiter ses atouts historiques : proximité physique, maîtrise des coûts et ancrage local.
En hybridant le meilleur du physique et du digital, en misant sur des marques propres qualitatives et en capitalisant sur l’urgence écologique, les enseignes comme AuchanLeclerc ou Carrefour redéfinissent les règles de la mode abordable. Leur capacité à proposer des collections tendance à des prix cassés, tout en offrant une expérience d’achat immédiate et personnalisée, en fait des adversaires redoutables.
Toutefois, le défi reste de taille : convaincre les jeunes générations, ultra-connectées et habituées à l’infini choix de Shein, que le jean acheté entre les rayons fromage et surgelés vaut le détour. Pour y parvenir, les distributeurs devront continuer à innover – notamment via l’IA, la réalité augmentée (ex. : miroirs connectés en magasin) ou des partenariats avec des influenceurs locaux.
À l’heure où la consommation responsable gagne du terrain, la grande distribution a une carte majeure à jouer : devenir le pont entre la fast-fashion et la slow fashion, en proposant une mode à la fois accessible, durable et ancrée dans le quotidien des Français. Le duel avec Zalando et Shein ne fait que commencer.

Julien Mordeau est consultant en stratégie retail depuis 15 ans, spécialiste de la transformation digitale des enseignes physiques. Il accompagne aujourd’hui plusieurs groupes de grande distribution dans leur mutation vers une offre mode compétitive. Ce consultant est responsable des achats en destockage des vêtements chez Mydestockage.

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